Le souk de Jérusalem

Si l’on m’épluchait, telle une clémentine, et que l’on m’ouvrait jusqu’au cœur de ma pulpe, on y verrait, en cet instant éphémère, les dédales du souk de Jérusalem. Les pavés lustrés par les innombrables pieds qui les ont foulés, mouillés par l’eau déversée pour les nettoyer. Les étals et les échoppes succédants aux étals et aux échoppes.

L’odeur prégnante de la viande exhibée. Puanteur que j’aime sentir ; comme l’humidité chez ma mémé quand j’étais petite : l’odeur des vacances. Avec les boucheries du souk, c’est pareil : je n’aime pas ça, mais j’aime bien quand même… J’aime pas voir les carcasses livrées aux mouches, ni renifler ce parfum, mais ça m’attire un peu, je dois bien l’avouer. Comme un spectacle jamais vu ailleurs. Etrange dilemme entre attirance et dégoût…

Le bruit est incessant. La voix des livreurs avec leurs chariots qui crient pour se frayer un passage. Celle des touristes qui marchandent des souvenirs et celle des palestiniennes qui négocient le prix des ingrédients des prochains repas. J’avais du mal, en arrivant dans ce pays, avec la langue arabe et ses sonorités laryngales. Quand les gens se parlaient, je croyais toujours que l’empoignade était proche. Et comme je n’y comprenais rien, et qu’ils parlent avec animation, je les imaginais toujours fâchés. Maintenant, depuis que je comprends un peu les mots, et la manière de s’exprimer, ça me fait rire !

Le son qui sort des enceintes fait jaillir à plein volume la voix de Nancy, chanteuse à succès, qui veut que l’on «  fasse un bisou sur son bobo ».

Au milieu de tout ça, le timbre monocorde des groupes de pèlerins chrétiens, tout pétris de leur foi, qui récitent des prières sur la Via Dolorosa. Ville de paradoxe, un reflet de l’être humain.

Le rissolage des fallafels dans leur bain d’huile me ramène à des réalités bien terrestres. C’est une belle découverte culinaire que cette croquette de pois chiche. Quand on mord dedans, c’est croustillant à l’extérieur et tout chaud et moelleux à l’intérieur. Abou Nader les réussit super bien. « C’est bon pour la santé ! », qu’il dit quand il me voit hésiter à me re-re-servir. C’est vrai que j’ai besoin de manger des légumes secs, alors oui, peut être acheter un fallafel que j’écraserais dans un pain au sésame ? et le faire glisser jusqu’à mon estomac avec un soda orange chimique. Je n’ai jamais vu une couleur pareille, même dans un nuancier bien détaillé. Mais ce n’est pas là l’important. Ce soda, il a pour moi, la saveur du pays.

Atteindre le vendeur d’épices, en me laissant porter par le flux des corps devant et derrière moi. Des effluves de cannelle, de cumin, de za’atar … C’est un festival de couleurs allant du rouge paprika, aux dégradés de jaune du curry, en passant par le vert de la coriandre hachée et séchée. Il a tout bien rangé en petits tas bombés, sur plusieurs étages, comme un Tétris. Que c’est joli !

Passer devant le verrier. La lumière traverse les vases, les boules de Noël et décorations suspendues, donnant vie à ces objets. Il veut que je m’arrête même si je n’ai rien à acheter. « Plaisir des yeux » comme ils disent. J’aime cette phrase. Plaisir des yeux. Le plaisir des yeux, c’est gratuit. Juste profiter de l’instant présent, de la beauté. Les yeux, c’est une des portes d’entrée de la mémoire. Mémoire d’un lieu, d’une personne, d’une émotion, d’un goût. Celui de la clémentine épluchée et ouverte en quartiers que je viens de manger.

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